« La vigilance s’impose aux uns et aux autres »

Pr. Alphonse Amougou Mbarga, politologue, Université de Douala.

Comment analysez-vous la polémique actuelle autour du fichier électoral ?
Le fichier électoral est un document physique qui comporte l’ensemble des citoyens inscrits en vue de s’identifier comme électeurs. Cela suppose que l’inscription sur les listes électorales est une démarche personnelle du citoyen. De plus, avec l’introduction de la biométrie et conformément aux dispositions pertinentes de l’article 84 alinéa 1 du Code électoral, certaines informations relatives à la carte électorale ne peuvent être obtenues directement que du potentiel électeur (photos, empreintes digitales, etc.). Cette perspective devrait limiter les débats sur le fichier électoral parce qu’un citoyen qui ne se déplace pas vers un point d’enrôlement ne peut être inscrit sur le fichier électoral. 
Il se trouve malheureusement qu’au Cameroun, les décès font rarement l’objet de déclarations et qu’il n’existe pas un lien entre les services d’état-civil et les services d’Elecam afin de retirer du fichier électoral les personnes décédées. Cela peut aussi se comprendre pour des personnes pour motifs divers qui doivent être retirées du fichier électoral. Mais en réalité, cette polémique devrait être relativisée dans la mesure où les partis politiques se retrouvent à plusieurs étapes du processus de révision des listes électorales conformément aux dispositions des articles 52 et 53 du Code électoral. Cette polémique relève plutôt du défaitisme politique puisque les tenants de l’opposition n’ont jamais réussi à renverser l’ordre politique tenu par le RDPC. Et à bien y regarder dans la perspective de l’élection présidentielle d’octobre 2025, c’est surtout un parti politique dont la validation de la candidature du leader est sujette à caution qui porte cette polémique. Il s’agit d’une stratégie pour exister vaille que vaille sur la scène politique.


Elecam, à plusieurs reprises, a essayé de rassurer le public et certains acteurs qui se plaignent. Qu’est-ce qui peut expliquer la persistance d’un tel climat de suspicion ?
Les partis politiques dits de l’opposition ont depuis fort longtemps trouvé des justifications à leurs multiples échecs politiques. On peut d'ailleurs remonter à l’ONEL pour retrouver de telles récriminations. On peut aussi valablement objecter que les partis politiques autres que le RDPC disposent de députés et conseillers municipaux. Certains contrôlent des municipalités. L’UNDP contrôle le Conseil régional de l’Adamaoua. À partir de ce constat, l’on est valablement fondé à affirmer que le problème n’est pas l’organe de gestion des élections, à savoir Elecam, mais la capacité et les stratégies des partis politiques à maîtriser des espaces politiques. Sur les 369 partis politiques officiellement recensés au Cameroun, certains n’ont jamais pris part à la moindre consultation électorale. Il se trouve que pour les partis politiques dits de l’opposition, la seule élection qui leur échappe est la présidentielle. Le maillage territorial du RDPC et les alliances savamment construites fondent sa légitimité autour de cette élection. 
De plus, cette suspicion s’inscrit dans une tendance globale de contestation des processus électoraux en Afrique. Il n’est pas exclu, et on le constate régulièrement à travers des médias étrangers, que cette stratégie dans un processus de dénigrement et de désacralisation des processus électoraux en Afrique participe à légitimer l’idée selon laquelle les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie. Elecam est donc dans son rôle de rassurer régulièrement les acteurs politiques. Ce n’est pas cette institution qui met les bulletins dans les urnes ou qui désigne les représentants des partis politiques dans les bureaux de vote.  Ce n’est pas elle qui appelle certaines formations politiques à boycotter les élections. Ce n’est pas Elecam qui détermine les stratégies électorales des partis politiques.


Quel peut être l’impact de la situation actuelle sur les élections à venir, notamment la présidentielle ?
L’élection présidentielle à venir ne sera pas le fait d’un seul acteur politique ou d’un seul parti. De mon point de vue, elle sera ce que toutes les parties décideront d’en faire. Il appartient à chaque acteur du processus de jouer effectivement son rôle. La crédibilité du processus électoral ne relève pas seulement d’Elecam. Les leaders politiques et les partis doivent être capables d’accepter les règles du jeu. Encore faut-il en avoir la pleine connaissance. Par-delà le Code électoral, il y a les stratégies en fonction des attentes politiques. Il faut savoir que quelle que soit leur bonne volonté, tous les acteurs ne partent pas à une élection avec les mêmes chances. 
Il est donc plus aisé de fonder son engagement politique dans la contestation et la polémique. Et dès lors que cela permet de nourrir et d’alimenter une certaine forme de débat politique, cela est bon à prendre pour certains acteurs politique...

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