« Justice populaire » : gare au retour des vieux démons
- Par Azize MBOHOU
- 21 avril 2025 11:53
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La scène, glaçante, nous revient en écho. L'attaque au tribunal de Tibati, où un justiciable a asséné un coup de couteau au substitut du procureur, ravive une mémoire récente et tout aussi inquiétante. Quelques jours auparavant, un incident similaire survenait à Ngaoundéré, toujours dans la région de l’Adamaoua. Deux événements qui, au-delà de leur spécificité locale, pointent du doigt une dérive dangereuse, une tentation archaïque qui menace les fondements de notre vivre-ensemble et de la justice : la « justice populaire ». Pis, une violence exercée sur ceux qui disent la loi, pour le bon équilibre de notre société. Dans son ouvrage intitulé : « La justice populaire au Cameroun. Entre logiques justifiées et politiques d'endiguement », Pierre Borice Menounga indique que l'évocation de la notion de « justice populaire fait allusion à l'absence ou au déficit de la justice structurelle ». Par ailleurs, il démontre que dans certaines parties du monde et notamment au Cameroun, il existe cependant une « justice », dite « populaire », « qui cherche à compenser l'idéal de justice que les populations attendent des structures qui les gouvernent ». L'auteur propose un savant dosage prenant en compte les aspects socio-économique et politico-institutionnel de cette pratique au Cameroun.
Mais, quels que soient l'indignation suscitée, la gravité des faits reprochés, ou le sentiment d'une justice qui tarde ou qui faillit, une vérité demeure intangible : nul n'a le droit de se faire justice soi-même. Ce principe fondamental, pierre angulaire de tout État de droit, est ce qui distingue une société civilisée du chaos de la loi du plus fort. La violence, même motivée par un désir de réparation ou de punition, engendre inéluctablement davantage de violence. Elle ouvre une brèche béante où les rancœurs s'exacerbent, où les accusations se propagent sans contrôle, et où l'arbitraire règne en maître. Et même, à en croire le Pr. Prosper Nkou Mvondo, dans une réflexion intitulée « La Justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la Justice de l’État », l’on peut aussi recourir à une « justice néo-traditionnelle » pour préserver la paix et la sérénité. Il s’agit des « instances de règlement des litiges qui ne sont pas sans rappeler les juridictions traditionnelles qui existaient avant l’arrivée de la justice moderne, même si les formes et les techniques ne sont plus tout à fait les mêmes ». Une sorte de « justice parallèle » ou « le recours à des procédures informelles de règlement des litiges… »
Bien sûr, la responsabilité de garantir l'ordre et l'équité incombe en premier lieu à ceux qui sont investis du pouvoir d'appliquer la loi. Leur devoir est d'agir avec fermeté, sans céder aux pressions ni aux émotions, mais toujours dans le strict respect des procédures et des droits de chacun. Une justice perçue comme laxiste, partiale ou inefficace nourrit inévitablement la frustration et le désespoir, terreau fertile pour les initiatives sauvages. Il est donc impératif que les institutions judiciaires se montrent à la hauteur de leur mission, en rendant des décisions justes et en les faisant appliquer avec célérité. Le premier président de la Cour suprême, Daniel Mekobe Sone, le relevait fort opportunément, lorsqu’il indiquait, au cours de la rentrée de l’institution judiciaire le 22 février 2017, que « dans une société de droit, l’Etat est tenu d’assurer la sécurité des personnes et des biens ». C’est ainsi que l’État camerounais a aussi prévu des juridictions de droit traditionnel dans son ordre juridictionnel, afin de donner satisfaction à ceux qui ne se reconnaîtraient pas dans le système juridictionnel moderne.
Cependant, cette exigence envers les garants de la loi ne saurait en aucun cas justifier le recours à la vindicte populaire. L'adage selon lequel « deux fautes ne font pas une justice » résonne ici avec une force particulière. Répondre à un acte répréhensible par un autre, c'est s'engager dans une spirale infernale où la raison s'efface devant la passion, où la présomption d'innocence est bafouée, et où le risque d'erreurs irréparables devient exponentiel. Qui décide du seuil de la culpabilité ? Qui fixe la nature et la proportion de la sanction ? Abandonner ces prérogatives à la foule, aussi indignée soit-elle, ou entre les mains finalement criminelles d’un justiciable insatisfait, c'est renoncer aux progrès de la civilisation et renouer avec les instincts les plus sombres de notre humanité. Le premier pr&e...
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