« Un mépris fondamental du Code électoral »

Pr. Alphonse Amougou Mbarga, politologue, Université de Douala.

Issa Tchiroma Bakary, candidat à l’élection présidentielle du 12 octobre dernier, s’est autoproclamé vainqueur lundi soir, dans un message publié sur les réseaux sociaux. Comment analysez-vous cette sortie ?
 La sortie de Issa Tchiroma Bakary participe d'une logique qui consiste à vouloir forcer le destin en inscrivant dans le subconscient des Camerounais un résultat qui n'est pas acquis. Cela participe également d'un mépris fondamental du Code électoral en son article 137 qui dispose que « le Conseil constitutionnel arrête et proclame les résultats de l'élection présidentielle dans un délai maximum de 15 jours à compter de de la date de clôture du scrutin ». Dès le lendemain du scrutin, des commissions de recensement des votes sont mises en place. Commissions dans lesquelles les partis politiques ou candidats ayant pris part à l'élection présidentielle sont représentés. Alors que la compilation des résultats a commencé, un candidat ne saurait, au mépris de la loi, se proclamer vainqueur. Par ailleurs, il faudrait signaler que le candidat Issa Tchiroma Bakary fait exactement ce qu'il reprochait au professeur Maurice Kamto en octobre 2018 au lendemain de l'élection présidentielle d'alors. 


Qu’est-ce qui peut expliquer cette tendance de certains candidats à l’élection présidentielle à se mettre en marge de la loi en s’autoproclamant vainqueurs ?
Il s'agit en réalité pour le candidat qui s'auto-proclame vainqueur de créer l'illusion du fait acquis. C'est aussi un moyen de rassurer les partisans qui se sont alignés pour lui apporter un soutien. Cette manière de faire vise aussi à mettre la pression sur les institutions de la République. Évidemment, une telle attitude comporte des risques pouvant occasionner des soulèvements populaires. En fait, le Cameroun se situe dans la perspective, depuis 1992, de l'idée de « la victoire volée ». En se proclamant vainqueur de l'élection présidentielle en dehors de tout cadre institutionnel, le candidat qui se livre à ce jeu tente de se rassurer lui-même en mettant ses partisans dans une euphorie illusoire et ses adversaires politiques dans une inquiétude pouvant les pousser à la faute. D'ailleurs, il faut noter que cette idée relève de l'initiative des candidats qui s'opposent au président sortant. Il s'agit donc d'une stratégie qui viserait à tester la capacité des institutions à faire face à des discours et des déclarations populistes. C'est plus la réaction des pouvoirs publics qui doit être scrutée face à l'opinion publique nationale et internationale que l'attitude du candidat autoproclamé vainqueur.
On objectera à ce titre qu’un vainqueur d'une élection présidentielle est généralement félicité par l'ensemble de la classe politique et aussi des pays étrangers. Or, Issa Tchiroma Bakary en octobre 2025, comme Maurice Kamto en 2018, n’a pas reçu de félicitations tendant à crédibiliser sa posture de président autoproclamé. Il appartient donc aux pouvoirs publics de rester vigilants face à ce genre d'attitude pour assurer la sérénité du processus électoral jusqu'à son terme et permettre aux Camerounais de vaquer librement à leurs occupations.


Quels sont les dangers derrière une telle démarche ?
Les dangers à une telle démarche sont évidents. Le premier est le discrédit jeté sur les institutions de la République en affichant un mépris de la loi par une personne qui aspire à exercer les fonctions de président de la République, chef de l'État. Le second danger relève de l'instrumentalisation des institutions et des organes chargés de conduire le processus électoral. Le...

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