Dette publique de l’Etat, notation financière : le Cameroun reste crédible

En juin dernier, la Caisse autonome d’amortissement (CAA) a, comme de tradition, publié sa note de conjoncture sur la situation de la dette de l’Etat du Cameroun. Une dette dont l’encours se situe à 12 137 milliards de F, soit  43,8% du Produit intérieur brut (PIB). Un chiffre en dessous du seuil de 50% que s’est fixé le gouvernement et des 70% fixés par la Communauté des Etas de l’Afrique centrale (CEMAC). Deux critères qui permettent aux acteurs nationaux de dire que la dette du Cameroun reste viable. Seulement, peu après cette publication, des agences internationales de notation, notamment Moodys, Standard & Poors et Fitch, ont tour à tour dégradé la position du Cameroun dans leur classement, et selon des critères qui diffèrent d’une agence à l’autre ; mais avec en commun, un retard enregistré par le Cameroun dans le remboursement d’une traite de sa dette vis-à-vis d’une banque étrangère. Ce qui aurait pu faire paniquer les investisseurs et autres partenaires. Et au moment où le Cameroun se prépare à prendre part, du 9 au 15 octobre prochain a Marrakech, à l’édition 2023 des Assemblées annuelles du Fonds monétaire international et du groupe de la Banque mondiale, deux partenaires importants pour le pays, Adolphe Noah Ndongo, directeur général de la CAA, revient sur toute cette actualité et les perspectives pour le Cameroun, qui restent bonnes. 

 

Monsieur le Directeur général, la Caisse autonome d’amortissement a publié une note de conjoncture en juin 2023 qui donne des signaux alarmants sur la dette du Cameroun.  Quelle est la situation réelle de la dette publique ?
Pour répondre à votre question et peut-être éclairer l’opinion nationale sur la dette du Cameroun, je dois relever d’emblée que la publication des notes de conjoncture est un exercice permanent à la Caisse autonome d’amortissement (CAA). Cet exercice s'inscrit dans une démarche de transparence et de bonne gouvernance en matière de gestion de la dette publique. 
Au terme du 1er semestre 2023, l’encours de la dette du secteur public, sans intégrer l’emprunt obligataire de 176 milliards de FCFA émis en juin-juillet 2023, s’élève à 12 137 milliards de FCFA, soit 43,8% du PIB. Cet encours enregistre une baisse en glissement annuel de 0,4%.  A cette date, cet encours est constitué de : 11 240 milliards de FCFA de dette de l’administration centrale contractée essentiellement pour les projets structurants ; 887 milliards de FCFA de dette des entreprises et établissements publics et 10,2 milliards de FCFA de dette des collectivités territoriales décentralisées, soit respectivement 92,6%, 7,3% et 0,1% du stock de la dette du secteur public. Au vu de ces chiffres, et compte tenu du respect constant des engagements de l’État, il semble excessif de parler de signaux alarmants concernant notre endettement. Notre ratio de solvabilité démontre clairement la maîtrise de l’endettement public au Cameroun et la capacité du pays à honorer ses obligations à moyen et long terme. 

L’opinion publique s’interroge souvent sur la pertinence de cet endettement et son rapport avec les projets réalisés. Cette préoccupation est-elle fondée ?
Pour votre information, l’encours de la dette du secteur public à fin août 2023, est estimé à 12 008 milliards de FCFA soit environ 43,7% du PIB, en diminution de 0,7% par rapport à fin juin 2023. Le taux d’endettement du Cameroun qui est de 43,7% du PIB reste en deçà du seuil des critères de convergence communautaire en zone CEMAC, fixé à 70% du PIB. A la vérité, nous disposons d’une marge d’endettement substantielle pour financer d'autres projets et programmes d’investissement porteurs de croissance. Il sied de rappeler que les emprunts contractés ont principalement financé des projets structurants d'envergure nationale. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer le Port en eau profonde de Kribi avec ses infrastructures connexes, les infrastructures sportives majeures et l'aménagement de plus de 3 000 km de routes nationales et régionales, dont les tronçons Kumba-Mamfe-Bamenda, Sangmelima-Djoum, Ayos-Bonis, Maroua-Bogo, et Batchenga-Ntui-Yoko. Ces projets routiers ne représentent qu'une fraction des nombreuses initiatives entreprises. Sur le plan énergétique, des barrages tels que Memve’ele, Mekin et prochainement Nachtigal ont été mis en service pour augmenter l'offre en électricité. Par ailleurs, d'importantes améliorations ont été apportées aux infrastructures de télécommunications, favorisant ainsi une meilleure connectivité via internet et la téléphonie mobile. Des hôpitaux modernes ont été construits dans différentes régions du pays et des efforts significatifs ont été déployés pour augmenter l'accès à l'eau potable dans de nombreuses localités. Il convient également de noter que des fonds empruntés ont été alloués à des projets de reconstruction dans des zones fragiles, notamment via les plans présidentiels pour la reconstruction des régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et de l'Extrême Nord. 
La hausse de l’endettement public au Cameroun ces dernières années est le reflet des ambitions de développement des infrastructures du pays. Plusieurs mesures sont constamment prises pour optimiser l’utilisation des ressources issues de l’endettement. Dans ce sens, un accent particulier est mis sur la sélection des projets, leur maturation, ainsi que la rationalisation de leur financement, afin d’en maximiser les retombées socioéconomiques et de garantir la viabilité de la dette et la soutenabilité des finances publiques. Il est vrai que tout n’est pas parfait, mais il importe de relever les efforts entrepris par le gouvernement pour s’assurer de la bonne exécution des projets et programmes. A l’observation, plusieurs instances de contrôle collaborent étroitement pour garantir leur bonne réalisation.

La dette du Cameroun peut-elle être considérée comme viable ?
Selon la dernière analyse de viabilité de la dette (AVD) effectuée par le FMI à la fin décembre 2021 et mise à jour par les autorités nationales dans le cadre de la Loi de Finances 2023, la dette publique du Cameroun est viable, mais présente un risque élevé de surendettement, principalement à cause de la faiblesse des recettes budgétaires et d'exportations. Toutefois, afin de conserver cette viabilité et réduire progressivement le risque de surendettement, le gouvernement a initié des réformes pour renforcer les politiques économiques, budgétaires et fiscales, améliorer la compétitivité extérieure du Cameroun et soutenir l’implémentation de la politique d’import-substitution. A cet effet, plusieurs mesures ont déjà été prises par le gouvernement afin de stimuler les exportations. De plus, les importations de certains produits alimentaires (riz, poissons, etc.), qui constituent un facteur important de sortie des devises, sont désormais mieux régulées.
La valorisation des exportations constitue un autre levier important qui a été actionné afin de promouvoir la transformation locale des produits, notamment la mise en service des usines de transformation locale du cacao ; la restructuration de la CICAM avec pour objectif, l’accroissement de sa capacité d’absorption du coton produit par la SODECOTON, ainsi que la mise en œuvre graduelle de la mesure d’interdiction des exportations de bois en grume.  Plusieurs actions ont aussi été menées au niveau sous régional, pour promouvoir et faciliter le commerce entre les pays de la CEMAC, de la CEEAC et du Nigéria. Il importe également de relever que la politique d’endettement public menée par le gouvernement est alignée sur la Stratégie nationale de développement pour la période 2020-2030 (SND30), qui vise à concrétiser la Vision du chef de l’Etat, Son Excellence Paul Biya, de faire du Cameroun un pays émergent à l’horizon 2035. De même, la Stratégie d’endettement à moyen terme annexée chaque année à la Loi de Finances contribue à financer le programme de développement du gouvernement, tout en veillant au maintien de la dette publique sur une trajectoire viable.

Que pensez-vous des récentes évaluations du Cameroun par les agences de notation financière ?
La notation financière effectuée par les agences offre une opinion indépendante sur la solvabilité d’un débiteur, c'est-à-dire sa capacité et sa volonté d’honorer ses obligations financières à court et moyen termes. Chaque agence possède ses propres critères d'évaluation. En ce qui concerne les notations souveraines, elles représentent une évaluation permanente des économies, offrant une vision claire des indicateurs d'un pays à un moment précis, dans un contexte donné. Les investisseurs et les États s'en servent souvent comme référence pour corriger les écarts éventuels relevés. Pour le Cameroun, les agences de notation Moody’s et Standard & Poors ont dégradé la note du pays de deux paliers. Moody’s a réduit la note du Cameroun de B2 à CAA1, indiquant un risque accru pour les obligations émises par le pays. De son côté, Standard & Poors, après avoir initialement déclaré un défaut sélectif pour le Cameroun, l'a réévalué à CCC+/C. Cela signifie que les obligations camerounaises sont considérées comme vulnérables. Le pays est alors perçu comme présentant un risque élevé de non-remboursement sur les marchés internationaux. Sur le plan opérationnel, le Cameroun a accusé un léger retard dans le remboursement de certaines échéances auprès d'une banque commerciale. Ces retards, d'environ dix jours en moyenne, résultent des problèmes techniques et ne sauraient être considérés de notre point de vue comme des défauts de paiement. Cependant, il faut souligner que Fitch, une autre agence de notation avec laquelle les autorités échangent régulièrement, n'a pas été aussi pessimiste que les deux premières.
À ce jour, le Cameroun ne compte aucun arriéré de paiement de dette extérieure. De plus, diverses mesures ont été instruites par le président de la République pour assurer le paiement régulier des échéances de la dette. Malgré cette notation, les acteurs financiers, tant au niveau national qu'international, continuent de faire confiance au Cameroun. Ceci est illustré par les prêts en cours de négociation et ceux déjà autorisés par décret présidentiel, se chiffrant à ce jour à plus de 5 000 milliards de FCFA. En clair, l’impact de la récente notation des agences suscitées pourrait être relativisé. Le pays continue à faire preuve de résilience en honorant tous ses engagements, tout en travaillant à améliorer sa perception auprès de la communauté financière internationale.

Quelle est l’incidence de ce classement sur la crédibilité et la signature du Cameroun ?
Bien qu’une dégradation de la notation souveraine entraîne généralement une hausse des taux d’intérêt sur les emprunts publics, je ne parlerais pas d’incidence face à une situation qui a très vite été rattrapée par le gouvernement. Lequel se veut rassurant, fort de l’état actuel de la trésorerie et du satisfecit maintes fois réitéré de nos partenaires financiers multilatéraux à l’issue de leurs revues conjointes au Cameroun. Les grandes réformes sectorielles entreprises ont permis au Trésor public de gar...

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